La première société française de type « société anonyme » ou « société par actions » trouve son origine à Toulouse au XIIéme siècle, sept siècles avant la révolution industrielle. Il s’agit de « la Société des Moulins du Bazacle ».
A l’époque, Toulouse comptaient environ 60 moulins flottants dits à « nef » sur la Garonne. Ces moulins étaient répartis entre trois lieux distincts : La Daurade, Le Château Narbonnais et Le Bazacle. Les moulins « à nef » du Bazacle sont signalés pour la première fois dans un acte d’inféodation concédé par le prieur de la Daurade en 1177. Ces types de moulins étaient difficiles d’entretien, peu productifs et sensibles aux crues. Ils sont donc progressivement remplacés par des moulins fixes à la fin du XIIéme siècle. Vers 1180, les propriétaires des moulins du Bazacle reçoivent l’autorisation du prieur de la Daurade d’allonger leur chaussée (sorte de barrage) dans la direction du quartier Saint Cyprien. La chaussée du Bazacle faite de pieux de chêne traversait en biais la Garonne, du Bazacle jusqu’aux abords de l’Hôtel dieu St Jacques, sur une longueur d’environ 450 mètres. La construction des chaussées entraîne la substitution des moulins « à nef », par des moulins « terriers » construits sur la terre ferme. Le premier moulin de ce type est construit en 1183 à Toulouse.
La naissance des premières sociétés par actions et la concentration importante de moulins à Toulouse aux Moyen-âge résultent de plusieurs facteurs :
-La ville de Toulouse comptait entre 30.000 et 60.000 habitants avant la phase l’urbanisation du XIXéme siècle. Soit un potentiel de main d’œuvre et de débouché exceptionnel pour l’époque.
-La production céréalière était l’activité principale des exploitations agricoles de la région.
-La force motrice sans limite (sauf sécheresse) de la Garonne
-Des besoins en capitaux conséquents, afin de réaliser des investissements importants pour la construction, et l’entretien des moulins ainsi que des barrages. Ces moyens nécessaires à l’établissement et au fonctionnement des moulins étaient difficilement réunis par des propriétaires isolés. D’où l’orientation vers la voie du groupement.
Au alentour de 1250, le Bazacle comptaient 12 moulins « terriers ». Les différents propriétaires de ces moulins décident de s’unir et de créer une société commune par action : La société des Moulins du Bazacle. Chaque associé recevait en contrepartie de sa participation dans la société, un papier notarié appelé « Uchan » ou « Uchau ». La société était composée de 96 Uchaux (de octavum = un huitième). Chaque Uchan représentait un huitième de moulin. Les détenteurs de Uchaux sont appelés « Pariers ». Le parier désigne une personne possédant une part dans un fief ou un immeuble (terme juridique). Au XIIIéme siècle, la société des Moulins du Bazacle accepte donc la coexistence des droits de propriété individuels sur les parts des moulins, et le principe d’une société collective assurant la gestion des intérêts communs des pariers. Chaque parier, peut donc disposer et jouir de son uchan comme de tout autre bien immobilier. Les parts de la société pouvaient donc se transmettre librement par vente, donation ou héritage. Le prix de l’uchan était fixé en fonction du rendement du moulin et de son fonctionnement, ainsi que par l’environnement économique. Les parts se cèdent donc librement sans contrôle des autres associés.
En 1372, la société se transforme. Elle passe d’une société type « compagnie de meunier » à une société anonyme de type moderne. Un capital social unique est mis en place. De fait, les pariers ne possèdent plus des parts de moulins, mais des parts de la société possédant les moulins. Le droit de chacun des pariers porte donc sur l’ensemble de l’entreprise.
Pour gérer, cette société des administrateurs sont désignés. Ils s’occupent de la gestion matérielle de la société. Ils ont donc autorité sur les employés, pour la réception des sacs de grains à moudre, pour la restitution des farines (après prélèvement du droit de mouture de 1/16 éme), pour le règlement des dépenses (salaires, paiement des artisans pour réparation…).
Chaque année une assemblée est organisée. Lors de cette assemblée sont élus les administrateurs, le trésorier et le receveur des grains, postes clés dans la gestion des moulins. L’assemblée est chargée de déterminer la contribution des pariers aux dépenses communes (frais d’entretien et de réparation). Les pariers contribuent aux dépenses en fonction de leur participation dans la société, déterminée par leur nombre de parts ou « uchaux ». Si le parier ne contribue pas à payer sa part des dépenses communes, il risque que sa ou ses parts soient vendues ou saisies selon la procédure des ventes immobilières devant le Tribunal.
Au niveau des dividendes reçus, le montant est déterminé aussi en assemblée. Chaque parier reçoit en nature (c'est-à-dire en farine) sa part des bénéfices, toujours en fonction de sa participation. Le paiement en nature se fera jusqu’en 1840, date ou il passera en espèces. Les rendements générés par La Société des Moulins du Bazacle pouvaient atteindre entre 10 et 25% par an. Robert de Hesseln dans son « Dictionnaire universel de France » écrit en 1771 : que le moulin du Bazacle rapporte environ 120000 livres par an, soit à valeur constante (hors inflation) environ 1135000 euros.
La société des moulins du Bazacle regroupait environ 60 pariers, qui appartenaient pour la plupart aux catégories aisées de Toulouse. De nombreux pariers devinrent Capitouls.
La société des Moulins du Bazacle a fonctionné quasiment sans changement fondamental du XIVéme siècle au XIXéme siècle. A partir du XIXéme le terme « parier » disparaît pour devenir « actionnaire », et le terme « Uchaux » et remplacé par « actions ». Le nom de la société évolue. « La société des Moulins du Bazacle » devient « La société civile anonyme du moulin du Bazacle ». Les actionnaires tiennent toujours une assemblée générale annuelle pour prendre les décisions clés et pour nommer les administrateurs. La seule nouveauté vient de l’application du droit commercial en remplacement progressif des usages et coutumes. En 1876, La société des Moulins du Bazacle émet pour la première fois des actions nouvelles au nombre de 135, avec les mêmes droits que les anciennes. En 1887, le site et les équipements du Bazacle sont loués à « La Société Toulousaine d’électricité ». En 1888, La Société Toulousaine d’électricité transforme le moulin du Bazacle en usine hydroélectrique. La société Toulousaine d’électricité absorbera La Société civile anonyme du moulin du Bazacle. Cette fusion s’est terminée en 1910. La nouvelle entité s’appellera La Société Toulousaine d’électricité du Bazacle. Celle-ci passera sous le contrôle du groupe Reille, via son adossement à la Société Pyrénéenne d’énergie électrique. Elle disparaîtra en 1946, dans le cadre de la nationalisation de l’électricité en France.
Ancêtre des sociétés cotées et des sociétés anonyme de droit moderne, La Société des Moulins du Bazacle est un exemple de réussite économique sur prés de huit siècles.
FB
Sources :
-«Aux origines des sociétés anonymes. Les moulins de Toulouse aux Moyen-âge» de Germain Sicard, 1953.
-«Dictionnaire Universel de France» par Robert de Hesseln, 1771.
-«La Société des Moulins du Bazacle première société par actions»
http://www.bazacle.org//index.php?option=com_content&task=view&id=9&Itemid=15
-«Histoire de la Bourse de Paris», Euronext.
http://www.euronext.com/editorial/wide/editorial-1989-FR.html
A l’époque, Toulouse comptaient environ 60 moulins flottants dits à « nef » sur la Garonne. Ces moulins étaient répartis entre trois lieux distincts : La Daurade, Le Château Narbonnais et Le Bazacle. Les moulins « à nef » du Bazacle sont signalés pour la première fois dans un acte d’inféodation concédé par le prieur de la Daurade en 1177. Ces types de moulins étaient difficiles d’entretien, peu productifs et sensibles aux crues. Ils sont donc progressivement remplacés par des moulins fixes à la fin du XIIéme siècle. Vers 1180, les propriétaires des moulins du Bazacle reçoivent l’autorisation du prieur de la Daurade d’allonger leur chaussée (sorte de barrage) dans la direction du quartier Saint Cyprien. La chaussée du Bazacle faite de pieux de chêne traversait en biais la Garonne, du Bazacle jusqu’aux abords de l’Hôtel dieu St Jacques, sur une longueur d’environ 450 mètres. La construction des chaussées entraîne la substitution des moulins « à nef », par des moulins « terriers » construits sur la terre ferme. Le premier moulin de ce type est construit en 1183 à Toulouse.
La naissance des premières sociétés par actions et la concentration importante de moulins à Toulouse aux Moyen-âge résultent de plusieurs facteurs :
-La ville de Toulouse comptait entre 30.000 et 60.000 habitants avant la phase l’urbanisation du XIXéme siècle. Soit un potentiel de main d’œuvre et de débouché exceptionnel pour l’époque.
-La production céréalière était l’activité principale des exploitations agricoles de la région.
-La force motrice sans limite (sauf sécheresse) de la Garonne
-Des besoins en capitaux conséquents, afin de réaliser des investissements importants pour la construction, et l’entretien des moulins ainsi que des barrages. Ces moyens nécessaires à l’établissement et au fonctionnement des moulins étaient difficilement réunis par des propriétaires isolés. D’où l’orientation vers la voie du groupement.
Au alentour de 1250, le Bazacle comptaient 12 moulins « terriers ». Les différents propriétaires de ces moulins décident de s’unir et de créer une société commune par action : La société des Moulins du Bazacle. Chaque associé recevait en contrepartie de sa participation dans la société, un papier notarié appelé « Uchan » ou « Uchau ». La société était composée de 96 Uchaux (de octavum = un huitième). Chaque Uchan représentait un huitième de moulin. Les détenteurs de Uchaux sont appelés « Pariers ». Le parier désigne une personne possédant une part dans un fief ou un immeuble (terme juridique). Au XIIIéme siècle, la société des Moulins du Bazacle accepte donc la coexistence des droits de propriété individuels sur les parts des moulins, et le principe d’une société collective assurant la gestion des intérêts communs des pariers. Chaque parier, peut donc disposer et jouir de son uchan comme de tout autre bien immobilier. Les parts de la société pouvaient donc se transmettre librement par vente, donation ou héritage. Le prix de l’uchan était fixé en fonction du rendement du moulin et de son fonctionnement, ainsi que par l’environnement économique. Les parts se cèdent donc librement sans contrôle des autres associés.
En 1372, la société se transforme. Elle passe d’une société type « compagnie de meunier » à une société anonyme de type moderne. Un capital social unique est mis en place. De fait, les pariers ne possèdent plus des parts de moulins, mais des parts de la société possédant les moulins. Le droit de chacun des pariers porte donc sur l’ensemble de l’entreprise.
Pour gérer, cette société des administrateurs sont désignés. Ils s’occupent de la gestion matérielle de la société. Ils ont donc autorité sur les employés, pour la réception des sacs de grains à moudre, pour la restitution des farines (après prélèvement du droit de mouture de 1/16 éme), pour le règlement des dépenses (salaires, paiement des artisans pour réparation…).
Chaque année une assemblée est organisée. Lors de cette assemblée sont élus les administrateurs, le trésorier et le receveur des grains, postes clés dans la gestion des moulins. L’assemblée est chargée de déterminer la contribution des pariers aux dépenses communes (frais d’entretien et de réparation). Les pariers contribuent aux dépenses en fonction de leur participation dans la société, déterminée par leur nombre de parts ou « uchaux ». Si le parier ne contribue pas à payer sa part des dépenses communes, il risque que sa ou ses parts soient vendues ou saisies selon la procédure des ventes immobilières devant le Tribunal.
Au niveau des dividendes reçus, le montant est déterminé aussi en assemblée. Chaque parier reçoit en nature (c'est-à-dire en farine) sa part des bénéfices, toujours en fonction de sa participation. Le paiement en nature se fera jusqu’en 1840, date ou il passera en espèces. Les rendements générés par La Société des Moulins du Bazacle pouvaient atteindre entre 10 et 25% par an. Robert de Hesseln dans son « Dictionnaire universel de France » écrit en 1771 : que le moulin du Bazacle rapporte environ 120000 livres par an, soit à valeur constante (hors inflation) environ 1135000 euros.
La société des moulins du Bazacle regroupait environ 60 pariers, qui appartenaient pour la plupart aux catégories aisées de Toulouse. De nombreux pariers devinrent Capitouls.
La société des Moulins du Bazacle a fonctionné quasiment sans changement fondamental du XIVéme siècle au XIXéme siècle. A partir du XIXéme le terme « parier » disparaît pour devenir « actionnaire », et le terme « Uchaux » et remplacé par « actions ». Le nom de la société évolue. « La société des Moulins du Bazacle » devient « La société civile anonyme du moulin du Bazacle ». Les actionnaires tiennent toujours une assemblée générale annuelle pour prendre les décisions clés et pour nommer les administrateurs. La seule nouveauté vient de l’application du droit commercial en remplacement progressif des usages et coutumes. En 1876, La société des Moulins du Bazacle émet pour la première fois des actions nouvelles au nombre de 135, avec les mêmes droits que les anciennes. En 1887, le site et les équipements du Bazacle sont loués à « La Société Toulousaine d’électricité ». En 1888, La Société Toulousaine d’électricité transforme le moulin du Bazacle en usine hydroélectrique. La société Toulousaine d’électricité absorbera La Société civile anonyme du moulin du Bazacle. Cette fusion s’est terminée en 1910. La nouvelle entité s’appellera La Société Toulousaine d’électricité du Bazacle. Celle-ci passera sous le contrôle du groupe Reille, via son adossement à la Société Pyrénéenne d’énergie électrique. Elle disparaîtra en 1946, dans le cadre de la nationalisation de l’électricité en France.
Ancêtre des sociétés cotées et des sociétés anonyme de droit moderne, La Société des Moulins du Bazacle est un exemple de réussite économique sur prés de huit siècles.
FB
Sources :
-«Aux origines des sociétés anonymes. Les moulins de Toulouse aux Moyen-âge» de Germain Sicard, 1953.
-«Dictionnaire Universel de France» par Robert de Hesseln, 1771.
-«La Société des Moulins du Bazacle première société par actions»
http://www.bazacle.org//index.php?option=com_content&task=view&id=9&Itemid=15
-«Histoire de la Bourse de Paris», Euronext.
2 commentaires:
Habitant Toulouse, je tiens à vous remercier pour cet article passionnant. En visitant le Bazacle aujourd'hui, on a du mal à imaginer l'importance de ces moulins à l'époque. Rabelais vantant le cours de la Seine, affirmait "qu’un moulin y eût pu moudre. Non tant toutefois que ceux du Bazacle à Toulouse".
I have used this article as an inspiration for my thesis, where I wrote about history of joint stock comapnies. Thank you...
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